Alors que les handballeurs français ont été sacrés champions d’Europe le 28 janvier dernier, Jean-Christophe Mabire, kinésithérapeute officiel de l’équipe, revient sur son rôle auprès de ces sportifs de haut niveau. Il explique aussi en quoi la pratique d’une activité sportive est bénéfique pour la santé, en adaptant l’effort à ses capacités. L’accompagnement et les conseils du kinésithérapeute sont alors essentiels.
Vous êtes kinésithérapeute de l’équipe de France masculine de handball, qui vient de remporter l’Euro 2024 après une finale très disputée contre le Danemark. Que ressentez-vous ?
Cette victoire est l’aboutissement d’une longue préparation. L’équipe a travaillé sans relâche, pendant de nombreuses semaines, pour gagner cette coupe d’Europe. Dans le monde du handball, c’est la compétition la plus difficile car elle se déroule contre les meilleures équipes. Donc c’est vraiment une belle victoire ! Depuis notre dernier titre de l’Euro, en 2014, les jeunes joueurs en particulier avaient vraiment envie de « marquer l’histoire ».
Comment l’équipe s’est-elle préparée à ce championnat ?
Nous nous sommes retrouvés dès le 1er janvier, et l’équipe a enchaîné les entraînements, le tournoi préparatoire, les séances de préparation physique, etc. Nous sommes trois kinésithérapeutes dédiés aux joueurs. Nous nous sommes occupés des soins et de la récupération de chacun d’entre eux, tous les jours, pendant quatre semaines : c’était assez intensif, pour eux comme pour nous. Cette médaille vient récompenser tout le travail fourni. Elle a été obtenue notamment grâce à l’excellente forme physique et à l’endurance de l’équipe, en particulier lors des deux derniers matchs qui se sont terminés par des prolongations. À ce très haut niveau de handball, je pense que c’est ce qui a fait la différence.
En quoi consiste votre rôle au quotidien auprès des joueurs ?
Nous travaillons en étroite collaboration avec le préparateur physique et le médecin dédiés à l’équipe. Les séances de kinésithérapie sont individualisées selon chaque joueur pour tenir compte de sa forme physique, de ses éventuelles « petites blessures » du quotidien, de son état d’esprit du moment, et adapter les soins et l’entraînement en fonction. Comme nous sommes trois kinésithérapeutes, nous voyons les membres de l’équipe une à plusieurs fois par jour selon les besoins, en intervenant en complémentarité de façon à ce que leur suivi soit diversifié, avec une vision globale. Pendant toute la durée de la compétition, nous nous rendons disponibles tout au long de la journée, du matin au soir, et nous sommes présents aux entraînements et aux matchs : au quotidien, cela nous demande un fort investissement. Mais c’est un travail passionnant !
Par ailleurs, comme nous passons beaucoup de temps avec les joueurs, ils nous confient parfois des sujets qui les préoccupent. Notre oreille attentive est importante dans ce cas. Comme je suis kinésithérapeute de l’équipe de France de handball depuis 1995, je fais partie des « anciens », ce qui suscite de la confiance et de la réassurance auprès des joueurs et du staff. Je suis souvent considéré comme un « sage » qui peut donner quelques conseils issus de son expérience.
Êtes-vous confronté à des difficultés particulières dans le suivi des joueurs ?
Nos deux principales préoccupations sont le risque de survenue d’une blessure pendant un championnat – celle-ci nécessite un diagnostic de la part du médecin, l’évaluation de l’éventuelle indisponibilité du joueur pour en informer l’entraîneur, puis la prise en charge thérapeutique –, et tout le travail de prévention et de soins pour que les joueurs soient opérationnels et au meilleur de leur forme. Ce n’est pas toujours évident pour ces sportifs de haut niveau qui ont souvent des temps de récupération courts entre les différents matchs et compétitions de la saison. Il faut alors éviter, autant que possible, la chronicisation des « petites blessures ». C’est pourquoi nous travaillons en lien avec les kinésithérapeutes et les médecins de leurs clubs respectifs afin d’échanger sur les problématiques rencontrées et mettre en place un suivi de qualité.
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À six mois des Jeux olympiques 2024 à Paris, comment envisagez-vous la suite ?
Je vais participer aux Jeux olympiques avec l’équipe nationale de handball pour la sixième fois, mais cette année, ils se déroulent en France et je dois dire que c’est une chance de pouvoir y être associé. Cela va être grandiose ! Nous serons à Paris pour la première partie de la compétition, au sein du village olympique : c’est toujours une grande richesse de pouvoir échanger sur nos pratiques avec les professionnels des différentes disciplines et le service médical des Jeux. Puis nous serons à Lille à partir des quarts de finale pour jouer au stade Pierre Mauroy, avec une ambiance similaire à celle des compétitions de hand « classiques ».
La préparation des joueurs sera organisée en blocs entrecoupés de temps de récupération. Elle débutera à partir du 19 juin avec un stage à Tignes, puis des entraînements à la Maison du hand à Créteil, et dans le Nord, avant de rejoindre le village olympique aux alentours du 14 juillet. Les Jeux se terminant le 11 août, les joueurs et le staff se côtoieront tous les jours pendant quasiment deux mois, 24 heures sur 24. Cela nécessite de bien s’organiser et d’échanger régulièrement pour que les enjeux des uns et des autres, préparateur physique, entraîneur, kinésithérapeute… puissent être conciliés au mieux.
De manière générale, en quoi le kinésithérapeute peut-il aider les sportifs dans leur pratique ?
Les sportifs professionnels intègrent les soins de kinésithérapie dans leur entraînement et dans leur pratique, car ils leur sont nécessaires pour être performant. Ils ont conscience de cet équilibre, ont généralement une bonne connaissance de leur corps et comprennent qu’il faut adapter leur pratique en cas de pathologie ou de blessure. Les sportifs amateurs, quant à eux, ont parfois des difficultés à intégrer cela. Certains sont bigorexiques : ils sont « accros » au sport ! Nous devons alors faire preuve de pédagogie, leur expliquer qu’il est important d’adapter les exercices ou de s’arrêter pendant un moment, afin de préserver leur santé et de pouvoir reprendre leur pratique sereinement par la suite.
Selon vous, les kinésithérapeutes ont-ils un rôle à jouer en matière de prévention en santé et d’incitation à la pratique d’une activité sportive ?
Oui, nous avons un vrai rôle dans ce domaine. De très nombreux sportifs amateurs ne sont pas sensibilisés aux bonnes pratiques en matière d’activité sportive, à l’importance de la préparation physique, des étirements, de la récupération, etc. Par exemple, certains décident d’entreprendre un marathon alors que leur condition physique n’est pas suffisante, ou bien sans prévoir un planning d’entraînement spécifiquement adapté à leurs caractéristiques et à leur profil de coureur. Ils risquent alors de se blesser.
Quels liens faites-vous entre le sport et la santé ?
Nous savons que le sport est bénéfique pour santé, et qu’il aide à diminuer la prévalence de maladies comme le diabète et l’obésité. Mais pour cela, il est essentiel de le pratiquer de manière adaptée. En cabinet, nous avons un rôle important de prévention et de conseil en la matière, mais nous nous adressons à des patients qui se sont déjà blessés, et l’accès à un kinésithérapeute demande une prescription médicale… Pour agir véritablement en prévention, il faudrait que la pédagogie « sport-santé » soit adressée au plus grand nombre, afin que chacun pratique une activité sportive qui lui soit adaptée et bénéfique, en toute sécurité.